19h 15 – Spokane :
Pour le peu de fois où je mets les pieds dans le centre-ville, je ne m'y sens jamais bien à l'aise. Déjà parce que j'ai l'impression d'être étranger à cette zone de Haven Field, j'ai l'impression que nous vivons, à Portridge et Vallcenson, dans un monde parallèle. Ici, des policiers qui patrouillent tranquillement, pas de dealers ou de putes, pas beaucoup de noirs, si ce n'est que des blancs. Non pas que je me sente mieux à Vallcenson ou à Portridge, mais voilà, j'y ai pris goût à la vie dans ce genre de quartier, je sais quoi faire, je sais comment me comporter, comment être. Ce n'est pas si difficile de vivre dans ce genre de quartier, il faut juste apprendre à y vivre, après, ça passe tout seul.

Mais voilà, ce soir, je vais bouffer tout mon temps libre de ma journée de repos à surveiller une gamine. Ouais je sais, c'est complètement con, mais c'est une faveur que je dois à Sido, il m'a donné pas mal d'infos, donc bon je lui dois bien ça. Un mec, un certain Young Jae, a demandé à Sido un mec pour surveiller une jeune gamine qui connaît pas grand chose et qui prends des risques. Il voulait qu'on lui assure une protection permanente pendant un petit moment, le temps qu'elle s'habitue à la ville et qu'il la convainc que les risques qu'elle prend sont pas bon pour elle.

Bref, ceci explique cela, voilà comment je me retrouve un soir où il fait encore chaud, dans ma bagnole, devant un immeuble plutôt chic d'un quartier chic du centre, à attendre qu'une petite gamine tout juste novice dans la vie sorte de chez elle pour la suivre. Bref, je gaspille mon temps libre pour ce genre de truc totalement pourri et que j'aime pas tellement, mais une faveur reste une faveur. Heureusement que Sido a trouvé d'autres mecs, dont un qui viendra me remplacer demain, en fin de matinée, pour que je puisse me reposer un peu. Il est bien possible que je reste là à glander comme un con pendant un sacré moment.

Au moins ça va me permettre de réfléchir à ces derniers jours, chargés d'ailleurs. Un braquage, une course-poursuite... Encore un braquage dans quelques jours. Ouais, y a pas à dire, je me fais pas oublier en ce moment. Avec trois morts au compteur, depuis le raid, dont un flic, on peut dire que je cherche ni à me faire oublier, ni à faire dans la dentelle. Heureusement j'ai toujours une solution de secours si les flics me cherchent. Ce qu'il me manque, c'est un contact à la police, pour obtenir des infos viable, quelque chose qui puisse me permettre de préparer un ou deux, voir trois, coups à l'avance.

Ce serait même parfait... Ouais, au top. Mais bon, la vie fait que je ne suis qu'un simple homme de main, et que je risque d'y rester un bon paquet d'années avant de pouvoir me lancer dans le business. Parce que oui, un jour, je me lancerai dans quelque chose de plus sérieux. Je ne veux pas rester en bas de l'échelle toute ma vie, non, je veux grimper, quitte à construire un mur et l'escalader, à côté de cette putain d'échelle.

Canettes de bière, menu à emporter venant d'un fast food du coin et quelques paquets de gâteaux et autres conneries du style, voilà comment je compte combler mon ennui et passer le temps... Chouette journée dis donc !

Bon, ça commence à me péter les plombs d'attendre moi ! Putain, je fais pas dans le baby-sitting... Après tous les gens que j'ai buté, me retrouver à attendre et à suivre une gamine, ça m'énerve vraiment, surtout que je vois pas l'utilité de ce genre de boulot. Elle va faire des conneries, je vais devoir intervenir, et là, elle va m'engueuler et elle va surtout l'engueuler lui. En plus, c'est pas comme si j'étais pas voyant. Un russe des plus typique qui suit la même route qu'une jeune gamine, c'est vrai que c'est pas du tout voyant.

Mais bon, moi je fais ce qu'on me dit, et je me tais. Bon, je vais sortir un peu de la bagnole, pour me dégourdir les jambes. Je vérifie que mon pistolet est bien chargé, discrètement bien sur, et je le dissimule sous mon tee-shirt. Il fait chaud dehors, c'est incroyable. Mais je tiens bien. On avait les mêmes températures en Russie, l'été. Mais pas le même air. Beaucoup plus sec ici, tandis que chez nous, c'est un air plus humide, plus lourd. Pas forcément un avantage, puisqu'on transpire plus, et on a vraiment l'impression de crever de chaud, qu'ici, ça passe mieux.

Dos contre la portière du passager de ma voiture, je fume tranquillement une cigarette, vérifiant régulièrement, si ce n'est tout le temps, que personne ne sorte de l'immeuble. Une asiatique aux cheveux long et plutôt châtains voir brune, qui mesure dans les un mètre soixante dix... J'espère qu'il n'y en a pas des masses. Pas de photo, rien, nada. De simples informations, comme si ça allait suffire. Mais bon, normalement, c'est la seule asiatique de l'immeuble, selon le gars. Si un des mecs ou une des nenettes de l'immeuble a ramené une copine asiatique qui ressemble à cette description, je suis pas dans la merde moi.

Oh et puis après tout, moi je fais mon boulot hein, on me demande de faire ça je le fais, ça m'enlève une épine du pied ce service rendu. J'ai bien envie de rentrer, mais bon, ici ou chez moi, c'est exactement pareil, je n'aurais rien à faire.... Alors après tout, je suis pas si mal ici. C'est juste que j'avais besoin de pousser une petite gueulante. Dès fois ça fait du bien, ça calme un bon coup. Ça fait même souvent du bien.

Tiens, voilà une asiatique qui sort de l'immeuble. Elle correspond à la description, je ne me pose pas plus de question que ça. Cigarette jetée par terre, je me met à marcher doucement, essayant de garder un espace suffisamment important pour ne pas être repéré, mais trop non plus pour pouvoir intervenir en cas de problème ou pour pouvoir continuer de la voir. Les impitoyables règles de la filature, ou le truc que je déteste le plus au monde.

Heureusement que j'ai fermé à clé, parce qu'ici, n'importe qui pourrait me voler ma caisse, et vu qu'elle n'est pas assurée, ben si on me la vole, je l'ai dans le cul... Ou pas, puisque je la récupérerai, en faisant parler la poudre. Bon et puis on verra si ça m'arrive un jour, c'est même pas dit. Au bout de quelques minutes de trajet à peine, j'entends, plus proche d'elle que de moi, des sifflements. Le début des ennuis ?

Je deviens vraiment parano moi. Un mec siffle derrière moi, je me retourne brusquement, la main tenant la poignée de mon pistolet. Merde, c'était qu'un petit bourges à la con qui sifflait un taxi. J'ai vraiment pas l'habitude de ce quartier, et je pense bien que ça se voit. Quelque part, je ne pense pas pouvoir m'y faire un jour, à ce type de quartier. C'est bien trop loin de tout ce que j'ai connu, même si j'habitais plutôt dans un quartier calme, à Moscou. Seulement, je sais pas, c'est bien trop différent. La cupidité est omniprésente, l’égoïsme aussi. Comment peut-on être comme ça ? Les limites du capitalisme se voient bien dans les autres îles, mais ici, on pourrait croire qu'il s'agit du paradis du bon capitaliste, le trader qui touche des millions en ne faisant que de vendre ou acheter des actions boursières. Un métier tranquille pour une paye extraordinaire, alors qu'un maçon se crève le cul pour ne savoir comment vivre à la fin du mois. Vive les États-Unis et leur économie merdique.

Trêves de pensées, je dois continuer de la suivre, et c'est pas trop ce qui me plaît. En plus, les quelques passants sont des vieux croûtons ou des hommes d'affaires en costard qui sont sacrément pressés. Donc je fais un peu tâche, avec mon côté très simple, trop simple même. On ne pourrait presque pas m'identifier à un groupe : je ne suis pas fringué comme les hommes d'affaires ou les mecs du centre-ville, je ne suis pas non plus fringué comme un mec classe, encore moi comme un gangster. Parfois c'est un clair avantage, ici c'est un inconvénient, car je fais tâche. Plus je cherche à rester normal, moins je le suis.

Quinze longues minutes de marche passe sans qu'elle me repère, je le crois bien. Elle s'arrête devant une vitrine. Eh merde. Première réaction, des plus banales, je me plante comme un piquet à vingt bons mètres d'elle, comme si j'attendais quelqu'un. Je passe surtout pour un sacré con et pour un vicelard qui attend que sa proie continue son chemin, histoire de frapper quand elle ne s'y attend pas. J'espère sérieusement qu'elle ne m'a pas remarqué. Parce que là, en plus de passer pour un con et pour un pervers, je risque de compromettre mon job. Ça me ferait pas tellement plaisir, et au client non plus. Eh oui, comme on dit si bien, le client est roi.

En repartant, la voilà qui se met à marcher plus vite. Merde, ça sent bien le grillé ça. J'accélère alors la cadence également, mais moins rapidement tout de même, essayant de rester suffisamment à l'écart. Je la perds au tournant, décidant tout de même de la suivre en tournant également. Dommage... Un spray poivré atteint me visage, et là, une douleur intenable, qui me fait hurler. Bordel de merde, j'y vois plus rien et ça me fait horriblement mal.

Instinctivement, je m'écroule sur mes deux jambes et applique mes mains sur les yeux. Chaque mouvement de paupière est une douleur insupportable. Pourtant je m'applique à lui parler.

« Nan mais attend merde ! C'est pas ce que tu crois putain ! »

J'espère au moins qu'elle ne va pas se barrer, et que cette douleur horrible va vite partir, parce que je le sens pas tellement !