J’empruntais l’escalier, comme à mon habitude. L’idée de monter ces trois étages à pied m’effrayait moins que celle d’être enfermée dans une boîte en métal. Ma porte s’ouvrit sur la pièce teintée d’orange par les premiers rayons du soleil. Les lueurs dansaient sur les meubles laqués noir et blanc. J’accrochais mes clés sur le petit clou disposé à cet effet. Je retirai mes chaussures et vidai les poches de ma veste de costard avant de la pendre au porte-habit. J’en sortis quelques cartes de visite au nom de Matteo De Luca et un numéro de téléphone griffonné sur une serviette. Je replaçai les petits cartons dans une des boîtes alignées sur le bureau. Il y avait des feuilles de relevés bancaires, des e-mails imprimés, des photos… tout cela disposé d’une manière organisé devant l’ordinateur en veille.

Je regardai la serviette pourpre qui sentait encore le Martini à plein nez. Séverine Béraud y était écrit en lié… C’était une très jolie blonde aux yeux bleus perçant. Un magnifique visage, une peau douce, un sourire craquant, un corps des plus voluptueux… et surtout un regard d’une profondeur... Oh, et cet humour, elle avait un sacré répondant. Je sentis ma lèvre tiraillé sur la gauche, j’étais en train de sourire bêtement. Quel abruti… je jetai la serviette dans la corbeille à côté du bureau. Si je devais la revoir, ce serait à elle de m’appeler.

Je fouillai dans mon tiroir à CDs pour en sortir un contenant les 4 pièces romantiques de Dvorak que je glissai dans mon lecteur DVD avant de me couchai sur mon lit sans prendre la peine de le défaire. Les premiers accords de piano, les premières vibrations des cordes des violons... Je desserrai ma cravate noire puis passai ma main sur la table de nuit pour récupérer un livre de Machiavel. Le Prince, voilà une belle vision d’une personne vertueuse. Loin de lui toutes ces notions de personne bienveillante, aidant les autres, ne pensant que du bien. Non, la personne vertueuse ici n’est que celle qui sait se maintenir au pouvoir. Elle doit posséder parfaitement l’art et de simuler et de dissimuler… Un bon guide de vie. Les gens trouveront peut-être ridicule de suivre un livre écrit il y a des siècles de cela, mais depuis que j’appliquais ces points, ma vie n’en était plus que plaisirs et réussite. J’étais passé de la place d’un bourgeois-gentilhomme à celle d’un prince. Prendre le dessus sur d’autres n’est pas aussi difficile que ce que l’on fait croire au petit peuple, il faut simplement être prêt à faire des sacrifices, vivre sans attache.

La pièce changea plusieurs fois de tonalités avant que je me décide à poser mon livre et à aller stopper la musique. Je jetai un regard sur les gens qui donnaient vie à la rue au pied du bâtiment. Une vraie fourmilière. Il y avait encore beaucoup de personnes qui se pressaient à Haven Field, même après les événements de 2010. Une vraie masse dans laquelle il n’était pas difficile de rester anonyme. Je détachai ma chemise blanche, bouton par bouton, puis retirai mon pantalon noir. Je les pliai soigneusement avant de les ranger dans un tiroir qui coulissait au pied de mon lit. Une fois sous les draps, je me surpris à revoir le visage de Séverine dans ma tête. Je n’allais pas retomber dans mes vieux travers, cette phase allait passer. Je me tournai sur le côté et m’endormis sans trop de peine.